Rencontre avec…
Charlotte Longpré, M. Sc., étudiante au doctorat en psychologie clinique à l’Université de Montréal
« L’important, c’est de doser »
Après deux ans de nouvelles quotidiennes inquiétantes liées à la COVID-19, ce sont celles de l’Ukraine, qui nous accompagnent chaque jour depuis un mois. L’actualité nous laisse rarement de répit. Mais pourquoi ces événements parfois éloignés de nous ont-ils autant d’impact sur notre moral ? Charlotte Longpré, auteure d’un mémoire de maîtrise sur le lien entre les médias et le stress, nous explique pourquoi.
👉Voici le premier volet d’une série de rencontres avec Charlotte Longpré sur le stress et l’actualité.
✔️ Prochaine parution jeudi prochain.
Le Curieux : Pourquoi l’actualité peut-elle être source de stress ?
Charlotte Longpré : La fonction de notre cerveau est de détecter une menace pour assurer notre survie. Il surveille donc notre environnement en permanence pour nous prévenir si une menace survient.
C’est pour cela que si on croise quelqu’un qui a l’air louche ou si on est pris dans une tempête de neige, ça se peut qu’on ressente soudainement une petite montée d’adrénaline, qu’on soit un peu plus stressé.
Certaines nouvelles dans les médias peuvent être détectées comme une menace par notre cerveau même si ça ne nous touche pas directement.
En plus, elle est imprévisible : on ne sait pas dans quelques heures, dans quelques jours, comment ça va se passer ni quelle va être l’issue. Et comme nous ne sommes pas touchés directement, on peut avoir l’impression de ne pas avoir de contrôle sur la situation. Quand notre cerveau sent qu’il n’a pas le contrôle, ça crée une réponse de stress.
*Sonia Lupien est directrice scientifique du Centre de recherche de l’institut universitaire en santé mentale de Montréal. Elle est aussi fondatrice et directrice du Centre d’études sur le stress humain.
LC : Alors, faut-il ne plus s’informer pour réduire la dose de stress ?
C.L : On recommande plutôt un juste milieu.
C’est vrai que c’est préoccupant de voir autant d’images négatives circuler et d’y être constamment exposé. Dans ce cas, notre cerveau se dit que clairement, il y a une menace et que le corps doit se préparer à mobiliser beaucoup d’énergie pour faire face et combattre cette menace-là.
Ça engendre aussi le phénomène de rumination. Ça, c’est le petit hamster qui court dans notre tête sans arrêt. Si on regarde toujours les mêmes images négatives, ça donne de l’énergie à notre petit hamster pour rouler dans notre tête, ce qui accroît le stress.
Photo fournie par Charlotte Longpré
LC : Pourquoi des événements aussi éloignés géographiquement de nous que la guerre en Ukraine peuvent-ils être vus comme une menace ?
C.L. : C’est vrai qu’ici au Québec, on n’est, pour la plupart, pas touchés directement. Mais la réponse de stress est universelle, donc peu importe notre affiliation politique, notre géographie, le mode de vie dans lequel on est, la réponse de stress se produit.
Notre cerveau ne sait pas qu’on est en 2022, au Québec. Alors il donne la même réponse que quand on se trouvait face à un mammouth à la Préhistoire, pour reprendre l’exemple de mon ancienne directrice, Sonia Lupien*.
Notre cerveau anticipe la menace de la guerre en Ukraine même si elle n’est pas réelle présentement ici pour nous. Cela peut être stressant aussi, car la situation, pour la plupart d’entre nous, est nouvelle : on n’a jamais fait face à une situation comme celle-là auparavant.
LC : Quel impact les informations négatives ont-elles sur notre cerveau ?
C.L. : Les mots négatifs sont détectés plus rapidement que les mots positifs par le cerveau. C’est le biais de négativité. Comme c’est inné chez nous de détecter une menace, on va porter plus attention et on va être plus attirés par une nouvelle dont le titre est, par exemple, « La guerre éclate ». Notre cerveau y voit un gros drapeau rouge.
Les recherches de ma maîtrise ont montré que, lorsque des personnes lisent des nouvelles positives ou des nouvelles neutres, elles ne s’en souviennent pas particulièrement alors qu’on sait qu’elles se souviennent plus des nouvelles négatives. C’est plus particulièrement le cas chez les femmes sans qu’on sache encore l’expliquer.
Mais d’autre part, de complètement éviter le sujet peut être aussi anxiogène parce qu’on peut en venir à se créer des scénarios dans notre tête puisqu’on n’est plus au courant de l’actualité. Donc l’important, c’est de doser.
Et ça peut être bon aussi de limiter notre temps d’écran et de faire une pause de l’actualité. Ça ne veut pas dire qu’on n’y pense plus ou qu’on n’est plus en soutien ou qu’on ne démontre plus d’intérêt pour la situation, c’est vraiment juste de dire qu’aujourd’hui, on a besoin d’une pause… Comme on pourrait le faire pour n’importe quoi.