Rencontre avec…
Charlotte Longpré, M. Sc., étudiante au doctorat en psychologie clinique à l’Université de Montréal
« Ne pas en parler pourrait amplifier l’anxiété »
Alors que la guerre en Ukraine est source d’inquiétude pour les grands et les petits, les adultes ne savent pas toujours s’il faut aborder ce sujet délicat avec les jeunes. Faut-il en parler ? Faut-il craindre -et éviter- que les enfants soient stressés par la situation ? Selon la Charlotte Longpré, autrice d’un travail de maîtrise sur le lien entre le stress et les médias, il est important d’en parler. Elle nous explique pourquoi.
👉Voici le deuxième volet d’une série de rencontres avec Charlotte Longpré sur le stress et l’actualité.
✔️ Lisez le premier volet :
Pourquoi l’actualité a-t-elle un impact sur notre niveau de stress ?
Le Curieux : Selon vous, doit-on parler des sujets délicats de l’actualité, et de la guerre en Ukraine en particulier, avec les enfants ?
Charlotte Longpré : Les enfants jeunes autant que moins jeunes comprennent un peu plus la gravité de certaines situations que ce que le parent peut penser. En tant que parent, ne pas y accorder d’importance, ne pas reconnaître ses émotions et ses inquiétudes par rapport à la situation pourrait être invalidant pour l’enfant.
On se dit parfois : « Si je n’en parle pas, ça ne va pas générer d’anxiété ». Mais, au contraire, ne pas en parler pourrait amplifier l’anxiété parce que l’enfant ne se sentirait pas compris. Si on ne nomme pas les choses telles qu’elles sont, pour un enfant, cela peut devenir difficile de comprendre.
Par exemple, à l’école, il entend le mot « guerre » partout. Dans l’autobus, le chauffeur a mis la radio, puis il entend le mot. Mais si à la maison, les parents lui disent : « Non, ce n’est pas une guerre » et on n’en parle pas, il y là a quelque chose de très confrontant pour l’enfant. En effet, la perception qu’il reçoit d’un côté et celle de ses parents ne sont plus concordantes.
LC : Et si l’enfant n’en parle pas…
C.L. : Un enfant qui n’en parlerait pas du tout ne veut pas dire qu’il va bien. Au contraire, ça pourrait être un enfant très anxieux, qui s’est un peu retiré socialement, qui est plus isolé. Quand vous remarquez un changement de comportement, ou si votre enfant a soudainement des maux physiques (maux de ventre, maux de tête, maux de cœur), s’il ne veut plus aller à l’école ou devient très irritable et fait des colères, mais qui ne vous parle pas de la situation, il serait bien d’aller questionner.
Peut-être que ça sera juste à cause d’une chicane avec un ami à l’école. Mais si la situation en Ukraine est la goutte qui fait déborder le vase, d’être allé le questionner, ça va lui permettre de sentir qu’il y a un espace pour exprimer ces émotions-là.
LC : Comment s’assurer que les enfants ne sont pas trop stressés par la situation?
C.L : Les enfants sont généralement beaucoup plus résilients qu’on peut le penser. Mais c’est bien de leur demander comment ils se sentent. S’ils ont de la difficulté à le dire, vous pouvez émettre des hypothèses : « Je te sens vraiment inquiet par rapport à ça, est-ce que ça se peut? » ou « Tu m’as l’air fâché… » ou « J’ai l’impression que ça te fait peur, ça se peut? ». Il faut être authentique dans notre façon de le dire.
Parfois, ça peut juste être un envahissement, une grosse boule d’émotions. L’enfant ne sait pas ce que c’est, mais il n’est pas bien. On peut lui dire qu’on va prendre le temps de décortiquer tout ça ensemble.
Photo fournie par Charlotte Longpré
LC : Ça serait donc pire de ne pas en parler …
C.L : Généralement, quand on s’exprime sur une situation, l’effet positif est bien plus grand que l’effet négatif. Quand on nomme les choses, ça ne les fait pas amplifier. Ça ne les diminue pas nécessairement. Mais c’est validant et apaisant pour l’enfant de se sentir reconnu, de se sentir compris. C’est encore plus le cas quand on en parle dans un climat de confiance, bienveillant et rassurant où l’enfant a la liberté de parler.
De comprendre comment l’enfant se sent, de se positionner et de voir comment les autres peuvent percevoir la situation, c’est très apaisant pour lui.
L’enfant a aussi le droit de ne pas parler. Il n’y a pas juste la parole d’ailleurs pour évoquer les sujets difficiles. Il peut aussi faire un jeu ou un dessin qui représente très bien la situation ou une crainte sans même l’avoir exprimée avant.
LC : Doit-on absolument protéger les enfants du stress lié à l’actualité, de la tristesse que ça peut provoquer et éviter qu’ils vivent ces émotions ?
C.L : Les enfants ont besoin d’expérimenter ces émotions-là. Ils vont y faire face toute leur vie. De plus, toutes les émotions ont une raison d’être, mais elles sont aussi temporaires. De les nommer et de les valider, ça permet à l’enfant de se créer son petit bagage, son petit coffre à outils avec toutes les émotions qu’il peut vivre et comment il peut y faire face. Alors, il ne faut pas forcément vouloir éteindre les émotions désagréables ni les atténuer, mais juste les reconnaître et les valider.